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Pourquoi tu viens aux entraînements ? Moi, je viens pour me vider la tête.

Par Le 07/10/2022

« Se vider la tête ». Drôle d'expression pour qualifier une activité que l'on exerce sous aucune contrainte et pour laquelle nous devons trouver un intérêt.

Lire un bon livre, un mauvais aussi d'ailleurs, ne nous vide pas la tête mais nous la rempli des mots soigneusement choisis par l'auteur dans le but d'y imprimer son récit.

La musique n'a pas non plus vocation à aspirer toutes les notes de notre partition interne, mais de provoquer une émotion en réaction à l'écriture sur celle-ci.

Il en est de même pour un dîner entre amis, une promenade en forêt ou une balade sur la plage.

A mon sens, les arts martiaux n'échappent pas à cette règle. Le savoir qui est transmis du maître à l'élève ne fait que le remplir un peu plus à chaque rencontre.

Alors pourquoi vouloir à tout prix se vider la tête quand la remplir peut faire tant de bien ?

Peut-être que la phrase la plus juste serait : « Je viens me vider la tête de tout ce qui l'a polluée toute la journée. »

En ce sens, il peut être bon de faire le vide de la vie quotidienne au début de l'entraînement. L'échauffement est le bon moment pour cela.

Ainsi libre de toute tracasserie, le pratiquant doit être plus à même de recevoir le savoir qui va lui être transmis.

A contrario, si l’entraînement est perçu comme un reset permettant de passer à autre chose, alors aucune progression ne se ressentira dans la pratique.

Plein de sports répondent à ces critères d'effort physique visant à vider corps et esprit.

Lever des poids dans une salle, faire du jogging ou encore le vélo, par exemple, peuvent se pratiquer en solitaire donc la seule personne à qui vous devez rendre des compte est vous-même en fonction de vos attentes de performance, d’esthétisme, etc.

La pratique des arts martiaux est, pour moi, un peu différente. Au minimum, elle implique deux personnes. Celui qui détient la connaissance d'un ensemble de techniques, d'une philosophie, tout un art qu'il est prêt à transmettre parce celui-ci l'habite et le passionne.

La deuxième personne c'est nous, vous, qui venons en quête de ce savoir. Que la curiosité et la soif d'apprendre doivent conduire à une grande attention pour ne pas rater les petits détails qui font qu'un système fonctionne ou non.

De nos jours, il est vrai que la connaissance est disponible d'un simple clic. Encore faut-il savoir qu'en faire. C'est ici que je veux introduire une notion qui a tendance à perdre de son sens : le respect.

Le respect du maître, ou quelque soit son « titre », qui a accepté de nous transmettre son savoir.

Ce n'est pas un acte anodin. Transmettre c'est vouloir faire perdurer la filiation d'un savoir mais c'est dans le même temps accepter que celui-ci soit déformé.

C'est pourquoi lorsque l'on souhaite apprendre et intégrer un système nous devons être concentrés sur ce qui fait son essence.

Aussi, il paraît déplacé de dire : « Je n'y arrive pas, donc moi je ferais plutôt comme ceci ou cela », en y incorporant des techniques d'autres arts martiaux.

Le respect du temps qui nous est consacré. Je sais que notre société de consommateurs nous conditionne à penser que parce que nous payons une licence tout nous est dû.

A ceci je répondrai que si nous divisions le prix de celle-ci par le nombre possible d'heures de cours, nous verrions qu’aucun modèle marchand ne le permettrait.

La relation que nous devons avoir avec celui ou ceux qui nous enseignent doit être soignée. Ne pas s'en soucier c'est prendre le risque qu'ils perdent l'intérêt à partager avec vous ce qu'ils savent. Il ne s'agit pas d'en faire des gourous ou autres personnages mystiques qu'il faudrait vénérer, mais plutôt comme les garants des principes qui régissent ces styles. La généalogie d'une lignée n'est qu'un ensemble de noms qui se suivent sur une feuille. Une succession en chaîne de liens entre humains, desquels on peut sentir au détour d'une photo ou du récit d'un souvenir partagé, la profonde affection qui les unis. Nous, qui nous entraînons actuellement, ne connaissons pas personnellement les personnes à l'origine de notre lignée, pour peu qu'on arrive à déterminer qui elles sont.

Et pourtant nous sommes liés à elles par les enseignements arrivés jusqu'à nous par les couples maître/disciple et ce sont ces enseignements que nous devons respecter.

Nous n'avons pas tous les mêmes aspirations quant à notre pratique, ni le même nombre d'heures à y consacrer. Et c'est très bien comme cela. La pratique des arts martiaux est avant tout un développement personnel, mais lorsque nous adhérons à un club nous faisons entrer la notion collective dans l'équation. Nous avons tendance à l'occulter car nos entraînements ne donnent pas lieu à des confrontations hebdomadaires avec d'autres équipes comme le font les sports collectifs. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Nos compétences individuelles ne peuvent augmenter que si nous avons en face de nous des partenaires qui sont capables de les mettre en déroute. Ainsi, chacun tire l'autre vers le haut et tout le monde progresse et reste motivé.

Ce que je voulais mettre en lumière dans cet article, c'est le fait que nous soyons présents à un entraînement n'implique pas que nous. Notre état d'esprit influencera beaucoup le déroulé du cours de ceux qui nous entourent.

Ainsi, si vous êtes présents physiquement, soyez le également mentalement.

Bonne pratique.

Julien

Le pu dao

Par Le 20/03/2018

Le pudao

Le pudao est l'arme emblématique du style xinyi bagua. Mais avant toute chose, il convient de noter que le nom pudao désigne généralement un type d'arme quelque peu différent de la nôtre. En effet, aujourd'hui on nomme par ce terme une hallebarde composée d'un manche assez long et d'une lame large type lame de sabre.

púdāo 朴刀(caractères simplifiés) 樸刀 (caractères traditionnels) signifie littérallement sabre simple. Arme souvent utilisée par l'infanterie afin de couper les jambes des chevaux lors des batailles, celle-ci a évolué au cours des derniers conflits, notamment avec la guerre sino-japonaise dans la première moitiée du XXème siècle.

Taiping pudao

Ci-dessus, le pudao orné du général Taïping Luo Da Gang (羅大綱) source : http://greatmingmilitary.blogspot.com

Notre pudao daterait de cette époque récente et aurait été modifié au gré de l'armement ennemi auquel il fallait faire face. Le manche est plus court que celui des hallebardes mais plus long que la plupart des sabres. La longueur de larme varie en fonction du gabarit de celui qui le manie. En effet, la longueur du manche doit permette toute les manoeuvres, on doit donc pouvoir le passer sous le bras sans heurter son propre tronc. Quant à la lame, elle sera plus ou moins longue et épaisse. Là encore, tout sera selon sa corpulence et sa façon de se battre.

Pudao de Daniel Belotti (à partir d'un sabre de l'armée soviétique) Mon pudao à la lame très lourde et épaisse
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Pour l'entraînement, notamment pour pratiquer la forme à deux, nous utilisons un pudao "fait maison" à partir d'un bokken.

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Ci-dessous, quelques photographies de soldats chinois armés de pudao durant la guerre sino-japonaise (1937-1945) source : http://chinesemartialstudies.com

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Railway guard with dadao

Le sabre porté par ce soldat est un dadao, assez proche de notre pudao.

 

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la notion de maître

Par Le 18/03/2016

La notion de maître dans les arts martiaux chinois

En chinois, le mot "maître" peut être rendu de plusieurs manières. Le mot shifu est sans nul doute le plus usité. On connaît d'ailleurs plus souvent sa transcription en cantonais : sifu.

Mais les choses ne sont pas si simples. En effet, il y a deux mots, à la prononciation équivalente en mandarin (ce qui signifie que seule l'écriture, ou bien le contexte de la discussion, permet de les distinguer)

师傅 shī fu qui signifie donc "maître", "enseignant", "expert" mais aussi "monsieur". Ce mot a un usage de politesse, de reconnaissance et de respect. Il désigne souvent une personne dont on reconnaît les connaissances ou les compétences. Puis 师父 shī fu, qui a également le sens de maître et enseignant mais avec une connotation paternelle. En effet,  le caratère 师 pris isolément désigne à lui seul l'expert, celui qui maîtrise quelque chose, qui a de l'expérience. On le retrouve dans le mot 老师; lǎoshī qui signifie professeur. Le caractère 傅 signifie aussi "maître" et peut avoir le sens de "tuteur", tandis que le caractère 父 signifie "père". Le mot 师父 a donc un sens plus fort, qui indique une relation entre maître et disciple ayant pris une dimension très importante. C'est d'ailleurs ce mot qui est utilisé dans les communautés religieuses taoïstes et bouddhistes. On se réfèrera à l'excellent livre d' Adeline Herrou, La vie entre soi - Les moines taoïstes aujourd'hui en Chine, paru aux éditions Société d'ethnologie en 2005. L'auteur s'arrête sur cette notion - et sur l'ambivalence entre les deux mots qui se prononcent de la même façon -  page 163 puis page 408.

Si les deux "shi fu" peuvent indiquer une relation entre maître et élève, le deuxième revêt un caractère plus fort. Il renvoit à l'usage courrant de la terminologie familiale dans les arts martiaux. N'oublions pas que de nombreuses écoles de wushu sont d'abord bâties sur un modèle clanique. Les relations familales sont régies selon la conception confucéenne : le père est au sommet de la pyramide.

Cet emploi du mot shifu en occident est à mon sens bien souvent abusif. D'abord parce que le mot maître se veut impressionnant. Dans de nombreuses têtes occidentales, on lui associe l'image d'un vieux sage aux pouvoirs extraordinaires. De là, certains n'hésitent pas à s'autoproclamer "shifu", quand ce n'est pas "dai shifu" grand maître, à la première occasion, et ce, alors même que leurs compétences et connaissances laissent à désirer... L'élève naïf, peu ou pas informé, se laissera intimider. L'éducation reçue par nous tous (dans le cercle familial, à l'école puis au travail) nous a tellement habitués à entretenir cette séparation entre dominant et dominé, enseignant et enseigné que l'illusion est facile à entretenir.  D'où le nombre pléthorique de pseudo maîtres d'arts martiaux. Et ce d'autant qu'en français, le mot "maître" peut également avoir le sens de celui qui domine, qui dirige, qui exerce un pouvoir de domination sur les autres (c'est ce sens que l'on retrouve dans la formule anarchiste "ni dieu, ni maître").

Il me semble que le rapport entre l'élève et le professeur ne peut être régi par des conceptions prédéfinies (idéologiques, religieuses), fussent-elles exotiques. Rien ne peut remplacer la clairvoyance, la relation directe vécue sans fioriture. Cela n'empêche pas le respect et je dirais même que ça permet de ne pas sombrer dans un respect de façade. Il y a donc plus d'authenticité quand la relation est construite non pas sur des images mais sur la simplicité empirique. On utilisera donc le terme de maître de manière raisonnée et non pas par pur fétichisme des apprences.

Mais qui dit "maître" dit "disciple" ou "élève". On considère souvent que le maître peut avoir à la fois des disciples et des élèves. Les premiers sont destinataires d'un enseignement plus pointu (et parfois même secret) et sont voués à devenir les héritiers du style. Les élèves ont accès à un savoir moins poussé, leur relation avec le maître est moins intime.

Encore une fois, dans l'occident moderne, les choses sont sensiblement éloignées de ce qui pouvait se passer en Chine il y a maintenant bien longtemps. Il n'en reste pas moins que pour le maître (j'entends par là celui ou celle qui mériterait ce titre -même s'il ne le revendique pas - du fait de ces réelles compétences et qualités) la difficulté de trouver un élève à qui l'on pourra transmettre son savoir est souvent grande. En effet, l'élève doit avoir une véritable soif d'apprendre et d'éprouver par lui-même ce qu'on lui transmet. Cela est paradoxal, mais l'élève doit faire preuve d'autonomie tout en étant sur la même longueur d'onde que son maître. A moins d'en être resté à un modèle figé, dans lequel rien ne pourrait évoluer, où la hiérarchie formelle prend le pas sur la pratique réelle, je ne peux concevoir une transmission sans ce rapport de simplicité et de confiance mutuelle entre le professeur et son élève.

Pour finir, j'attire l'attention du lecteur sur ce point : la tradition signifie "transmission". Le professeur enseigne, donc transmet, à ses élèves. Ni plus, ni moins Or, pour beaucoup, la mot tradition renvoit à une conception figée, pour ne pas dire conservatrice ou même réactionnaire Or, l'acte de transmettre inclus une transformation du savoir. Car chacun y trouvera des choses différentes, en fera des applications différentes, en fonction de sa personnalité, de ses choix de vie, etc. Faire de la tradition une chose figée est donc une aberration, un contre-sens. La seule chose qui est digne d'être conservée,  à mon sens, est un état d'esprit. Aimer transmettre ce que l'on maîtrise à ceux qui aiment ce que l'on maîtrise (et qui le transmettront peut-être à leur tour). Cette notion d'amour, philia en grec, était au centre de la relation entre professeur et élève dans l'Antiquité (chez Platon notamment). Car, au final, ce qui réunit le professeur et l'élève, n'est-ce pas une conception commune du monde et de la vie ? Une façon d'avancer sur une voie commune d'accomplissement, laquelle voie n'interdit nullement les chemins divergents dans la mesure où les chose se passent en toute intelligence ?